L’Engadin swimrun, souffrance et partage en altitude

SPORT   /   20/07/2017

Après avoir participé à trois épreuves en France, toutes organisées (et très bien organisées) par Gravity Race, nous autres, curieux swimrunners parisiens, avions calé comme objectif principal en 2017 une participation à une course organisée par les Suédois en Suisse : l’Engadin swimrun.

L’Engadin swimrun, ce sont 46 km en baskets et combinaison néoprène, répartis en 40 km de trail avec un dénivelé positif de 1500 m et 6 km de natation dans les eaux parfois fraiches de trois lacs situés a minima à 2000 m d’altitude, dans la vallée d’Engadin, autour de Saint Moritz, au pied des sommets enneigés.

L’Engadin swimrun, ce sont 180 équipes de 27 nationalités différentes, de niveaux variés également, avec pour certaines le désir de se qualifier pour les championnats du monde en Suède (les trois premières équipes hommes, les trois premières équipes mixtes, et les deux premières équipes femmes). Notre objectif à Tristan et moi était davantage de passer les barrières horaires (deux en tout) que de monter sur un podium.

Petit récit d’une grande course forte en émotions.

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Avant-veille de course, nuit en Alsace.

Choisir de participer à une épreuve le premier week-end des congés scolaires, c’est accepter de charger la voiture avec notre nécessaire de swimrun, mais aussi toutes nos affaires pour les vacances. En effet, nous ne quittons pas la capitale pour un week-end mais pour presque un mois. Aux combinaisons, chaussures de trail et autres pull buoys, s’ajoutent donc deux vélos et de nombreux sacs de voyages.  C’est aux alentours de 21h30 que nous arrivons chez Thierry, un ami, accueillis par de la bière et de la flammenküche locales.

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Veille de course.

Partis vers 10h nous passons bien vite la frontière suisse et avons un peu la sensation de traverser tout le pays. Le retrait des dossards s’opérant entre 14 et 17h, mieux vaut ne pas s’égarer. Presque arrivés à destination, une route longue et abrupte nous mène au Julierpass, qui doit bien piquer à vélo. De l’autre côté, Silvaplana, son lac, ses forêts et ses sommets enneigés. Nous nous empressons d’aller retirer les dossards, numéro 316 pour nous, mais pour cela il faut présenter deux sifflets et une bande (obligatoire en cas de chute). Chose que nous avions totalement occultée tant nous sommes organisés. Ce n’est pas faute d’avoir regardé à plusieurs reprises le reportage d’Intérieur Sport intitulé Les Exilés, qui relate l’Ötillö à merveille (http://www.canalplus.fr/sport/pid2708-interieur-sport.html?vid=1330058). Ils vendent bien des petites trousses de secours sur place, mais au prix de 18€, et compte tenu de tout ce que nous avons déjà dépensé pour cette course, nous filons au supermarché du coin acheter une bande avant de venir – enfin – retirer le précieux sésame. Bonnets et chasubles verts, comme toutes les équipes mixtes (37 inscrites).
S’en suit, à 17h précises, le briefing de l’organisateur de toutes les courses estampillées Ötillö : Michaël Lemmel. Un moment si solennel qu’il donnerait presque les larmes aux yeux. Nous y sommes vraiment, plus de doute.
La ligne d’arrivée est dressée. La franchirons-nous demain ?

Le briefing terminé, nous prenons possession de notre chambre d’hôtel, dînons sur place et nous couchons aux alentours de 21h. Nos affaires sont prêtes pour le lendemain matin et le réveil est réglé sur 5h15. Les deux réveils (sait-on jamais…)

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Jour de course.

5h15 : Le réveil sonne et nous jetons un coup d’oeil dehors : pas de pluie pour le moment.
5h17 : Le petit déjeuner est amorcé avec les moyens du bord. Flocons d’avoines, petites briques de lait de châtaigne pour Tristan et de noisette pour moi.
5h50 : Nous chargeons la voiture, un sac contenant les affaires de course, un autre le nécessaire d’après-course.
6h10 : Nous arrivons au parking, il fait frais, une dizaine de degrés tout au plus. Il est temps d’enfiler les chaussettes, les chaussures, les combinaisons, de préparer les pull buoys, les lunettes, les chasubles, de bien placer la puce à notre cheville (droite, ont-ils dit au briefing), de stocker les barres de ravitaillement dans les poches de la combi, d’y glisser les gourdes souples et de nous diriger vers le bus qui nous amènera au départ. Tristan a oublié ses manchons de compressions spécial gros mollets… Il devra faire sans.
6h45 : Nous arrivons pour ainsi dire les premiers à l’endroit où le bus est supposé passer. Peu à peu, d’autres binômes nous rejoignent. Chacun inspecte le matériel de l’autre. “Tiens, il a des bouteilles d’eau en guise de flotteur !” “Pas mal l’idée d’écrire les distances sur le chasuble, mais on le garde à la fin ?” “Certains portent une cagoule néoprène, mais c’est si froid ?”. Tristan et moi ne bavardons guère. Les autres non plus à vrai dire. Nous repérons des visages connus, croisés à l’occasion de nos précédentes courses, ou au hasard des réseaux sociaux. “Tiens, le binôme mixte qui a gagné l’Engadin l’an dernier”.
Il est des instants durant lesquels on se sent tout petit. Celui-ci en est un.
7h05 : Nous grimpons dans le bus, qui est déjà bien rempli et longeons les lacs dans lesquels nous allons bientôt nager. Les balises noires de mise à l’eau et oranges de sortie de l’eau sont bel et bien là. Dans le véhicule, ça parle caca. Certains français sont, je cite, en train d’en préparer des beaux visiblement. Point de pudeur juste avant le départ, nous sommes tous dans le même bateau. A peine arrivés à notre destination, ou devrais-je dire au point de départ, chacun se rue vers les toilettes sèches (tiens, ça me donne l’idée de préparer un article sur “Gérer les cinq toilettes pour 500 personnes les matins de course”).
7h20 : Il est temps d’enfiler véritablement la combinaison. Nous décidons de nous élancer sur les premiers kilomètres avec le bas et le haut, et vraisemblablement la plupart adoptent cette stratégie qui ne doit pas être la plus mauvaise. Nous laçons nos chaussures, plaçons le bonnet et les lunettes sur nos têtes, préparons les  GPS de nos montres pour qu’au moment du départ il se déclenche sans encombres.
7h40 : Il est temps d’entrer dans le SAS de départ. Nous y croisons Jean-Christophe, rencontré lors d’un entraînement swimrun à Annecy l’été dernier, puis croisé sur la Gravity Annecy et la Gravity Salagou. Il a déchiré le haut de sa combinaison en voulant la fermer…

Michaël, l’organisateur, crie le décompte, départ dans 10 minutes, puis 5… La tension monte, nous échangeons peu, tout en sachant que l’autre est bien là,. C’est ça aussi, le swimrun.
Un petit bisou échangé avant le départ, un regard rassurant, une main dans une autre.
8h00 : Un coup de pistolet retentit, un poil surprenant, et c’est parti !

C’est parti pour un peu plus de 3 km de course à pied, avec très vite une belle montée avant de s’élancer pour nager 270 m dans le premier lac. C’est frais, très frais, mais très bref, et dès la sortie il nous faut penser à enlever le haut de la combinaison, remettre le dossard, et reprendre notre souffle car ce sont 8 km avec un sacré dénivelé qui nous attendent. Nous entamons la grimpette, parfois un peu frustrés car notre rythme est fatalement dicté par nos prédécesseurs. Un long single jusqu’au sommet, autrement dit impossible de doubler qui que ce soit. Ce n’est peut-être pas plus mal, cela a au moins le mérite de nous éviter de partir trop vite.

Qui dit montée dit descente. Pas mon fort, loin de là. Tristan est patient, et progresse à mon rythme, en me rassurant. Beaucoup de binômes nous dépassent (d’autant que la première descente est de loin la plus technique) jusqu’à la mise à l’eau suivante, qui nous mènera vers la première barrière-horaire.
C’est le début de la deuxième natation,  je fais une grosse panique au moment d’entrer dans l’eau, qui me semble glaciale. Je ne me suis pas forcément beaucoup alimentée, malgré les représailles de Tristan. Cela doit contribuer à la sensation de froid. Après plusieurs hésitations, c’est parti. Je me concentre sur la corde qui nous lie, Tristan et moi, respire en deux temps d’abord, pour reprendre mon souffle (la panique n’aide pas à poser sa nage). Il se retourne fréquemment, s’assure que tout va bien, que je ne suis pas transie de froid derrière. Nous finissons par sortir de cette natation de 550 m, non sans peine.

Au ravitaillement, je découvre les pommes de terre salées et les réglisses qui, étrangement, vont me ravir toute la journée. Café, patate, réglisse, et ça repart.
10h00 : Nous passons ladite barrière, le cut-off, avec environ une demi-heure d’avance. Ce n’est pas large, mais néanmoins suffisant.
Il nous reste 4700 m à courir avant d’enchainer deux natations entre-coupées de 550 m de course, l’une de 830 m et l’autre de 685 m. Je redoute un peu le froid, compte tenu de l’épisode précédent, mais depuis le ravitaillement ça va mieux. Nous courons à plutôt bonne allure, et nous élançons sans encombres sur les portions de natation, où nous remontons même quelques concurrents.
Il faut ensuite courir 6,5 kilomètres avec à nouveau du dénivelé. Nous avons la sensation d’avaler les kilomètres, la confiance est bel et bien revenue. C’est sans compter sur une douleur très vive de Tristan à l’orteil, qui va le gêner toute la descente, et à vrai dire toute la fin de course. C’est le comble, les descentes sont faciles, et je suis capable de les courir, mais lui souffre. Ca se voit, mais il ne se plaint pas (contrairement à moi, Tristan ne se plaint jamais, il est rassurant à chaque instant). Il nous reste deux natations et deux petites courses à pied avant la seconde (et dernière) barrière horaire.  Dans ma tête, tout ce qui m’importe est de courir, ne pas s’arrêter et la passer, ensuite nous pourrons bien marcher autant que nous le voudrons, nous serons “sauvés”. Je crois qu’à ce moment de la course, je suis celle qui donne le rythme. C’est rare, mais utile lorsque l’autre faiblit. C’est la force du swimrun, prendre la main lorsque l’autre la perd. Puiser dans des ressources insoupçonnées pour tenir, au nom du binôme. Ne pas flancher, être fort, ou au moins le paraître. Faire illusion. Y croire.
Tristan me dit d’en garder un peu sous la semelle si je me sens en forme. Je ne l’écoute guère, je cours, il suit. Nous croisons le premier binôme mixte qui va passer la ligne d’arrivée d’ici 1500 m mais la barrière horaire est notre seule prétention. Nous l’atteignons avec presque une heure d’avance, le sourire aux lèvres.
13h20 : Une petite pomme de terre avant d’amorcer la plus longue portion de natation (1400 m), sous un ciel menaçant. Nous nous apercevrons très vite que le mot est faible. Le ciel s’obscurcit progressivement, il se met à pleuvoir des cordes, qui nous flagellent le dos à travers la combinaison et nous empêchent de prendre notre respiration correctement. Les vagues se font de plus en plus nombreuses. Nous ne distinguons plus la bouée, autrement dit le cap à suivre, tant la pluie est dense, et l’orage gronde désormais. Je vois les éclairs, entends la foudre, pense aux mousquetons métalliques sur ma ceinture, vois les bateaux des secours s’agiter autour de nous et des autres nageurs. Je suis prise de panique. Tristan a beau me répéter que nous sommes ensemble, que tout va bien se passer, j’ai vraiment peur. Comme jamais en nageant. Finalement les bateaux viennent à notre rencontre, et nous demandent à tous de rejoindre la rive au plus vite et de poursuivre en courant. Nous rejoignons la terre ferme, tels des naufragés, et poursuivons d’abord en titubant, puis en courant.
Nous apprendrons à l’issue de la course que seuls quelques binômes ont eu le loisir de nager l’intégralité de ce segment, beaucoup comme nous n’en ont nagé qu’une partie, et certains ne l’aurons pas nagé du tout.
Nous ne le savons pas encore, mais nous ne goûterons plus l’eau de Silvaplana aujourd’hui. A ce moment-là, nous pensons encore que la météo va s’arranger pendant nos 8,4 km et 400 m de D+ de course à pied, et que nous pourrons nager les 750 derniers mètres plus sereinement. Tristan a toujours mal à l’orteil, et autant les montées passent plutôt correctement, bien qu’avec moins d’aisance qu’en début de course, autant les descentes sont douloureuses.
15h00 : Nous revenons vers le lac. Entre-temps le ciel s’est éclairci, et sur l’eau c’est le calme plat. Nous marchons à un rythme honorable, et un bénévole nous demande :
– “Vous préférez nager ou courir ?
– Marcher.
– La dernière natation a été supprimée suite à l’orage, il n’y a plus de bateaux de sécurité. Il vous faut donc contourner le lac, soit 4 km à courir jusqu’à l’arrivée.”
Coup de massue. Nous avions très envie de nager, et plus du tout envie de courir. Dans ma tête je calcule qu’en marchant à bon rythme nous franchirons néanmoins la ligne d’arrivée sous les 8h. Je n’ai plus guère de mental, et encore moins de jambes pour me porter. Nous alternons donc marche et course, sans trop presser le pas (aucun enjeu). Alors je dis à Tristan que j’espère que l’un des organisateurs sera là pour nous glisser un “You gonna make it !” comme dans le reportage d’Intérieur Sport sur l’Ötillö précédemment cité. Au détour du lac, Michaël est bien là, mais nous dit simplement qu’on fait du bon boulot. On continue de plus belle. Courir jusqu’au poteau. Puis marcher. Courir jusqu’à la route. Puis marcher. A environ un kilomètre de la ligne d’arrivée, j’aperçois au loin un binôme mixte, qui nous rattrapera si nous marchons trop. Je confie cela à Tristan, et nous courons, ou devrais-je dire nous titubons, jusqu’à la ligne d’arrivée.
15h45 : C’est main dans la main, le visage marqué par la fatigue, empreints d’un énorme soulagement d’abord, puis d’une certaine satisfaction, que Tristan et moi, binôme 316, franchissons la ligne d’arrivée de l’Engadin swimrun, manche montagnarde de l’Ötillö, notre quatrième swimrun, et, pour sûr, pas le dernier. Notre prochain objectif sera en terres connues, sur la Gravity Race d’Annecy.

“En swimrun, vous commencez la course comme des amis, vous la terminez comme des frères”, avait annoncé Michaël lors du briefing. Tristan et moi l’avons commencée comme des amoureux, et la terminons comme… des amoureux.

4 commentaires Ajoutez le votre

  1. Narg dit :

    Très beau récit, ca donne envie!
    Bravo.

    1. Jess dit :

      Merci beaucoup !

  2. Nono dit :

    Chouette l’article 🙂
    Ca donne envie

    1. Jess dit :

      Merci, il faut t’y essayer !

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